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Vers le Père
LA troisième année de préparation au
Jubilé nous conduit à réfléchir sur la
personne du Père dans le mystère trinitaire.
Nous disons que Jésus est Dieu, que l'Esprit
Saint est Dieu, et que Dieu est Père,
pourquoi ? |
Dieu nous donne par le Christ,
le nom
sous lequel il se laisse rencontrer : Père

Jésus dans son attitude et son discours fait
découvrir à ses disciples la relation très
spécifique, unique, qu'il a avec Dieu, celle de
Fils. Au risque de surprendre et de se faire
rejeter, il appelle Dieu : mon Père, « abba »
(en araméen). Terme que le Fils réserve pour
interpeller son Père bien-aimé, dans la
simplicité, la tendresse et la sécurité. Avant
sa mort, Jésus transmettra à ses disciples le
droit d'appeler Dieu, abba. Et une fois
ressuscité, il dira « je vais vers mon
Père et votre Père, vers mon Dieu et votre
Dieu ». Nous révélant Dieu comme son
Père, il montre aux disciples que, par lui, Dieu
est aussi leur Père, il leur donne part à sa
relation avec Dieu. Voilà bien une dimension
de Dieu, ignorée par toute l'humanité avant
Jésus. Pour de nombreux peuples de par le monde,
les dieux sont dits pères, car ce sont eux qui
les engendrent. Pour le peuple du premier
Testament, Dieu est père à cause de son acte de
libération et d'élection. C'est la paternité
d'un peuple, choisi et libéré par Dieu. Dieu
est dit père d'Israël, ou de son roi, mais
jamais père des hommes. Avec Jésus, la
paternité de Dieu est tout autre. Dieu est le
père des égarés, des pauvres, dont la
filiation n'est plus liée à l'appartenance au
peuple élu, mais à celle du Royaume qui vient
avec Jésus et qui ne peut être accueilli que
comme un enfant.
C'est dans la communion à la passion et la
résurrection de Jésus comme Christ, c'est en
participant à cette relation unique de Jésus
avec son Père que chaque disciple, que chaque
croyant devient enfant de Dieu, fils adoptif du
Père. « Voici la preuve que vous êtes
réellement enfants de Dieu : Dieu a envoyé
dans nos curs l'Esprit de son Fils qui
crie : Abba,
Père . » (Ga 4, 6)
Ce n'est plus l'homme qui désigne Dieu et lui
attribue des noms pour se l'approprier, c'est
Dieu qui donne à l'homme le nom qui de lui-même
signifie la relation qu'il instaure avec lui.
L'homme est appelé ainsi à la reconnaissance de
la relation établie et non pas à la
spéculation philosophique qui n'a pas besoin de
relation.
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Le Christ est l'envoyé du
Père et conduit au Père

Si le Christ se dit aussi
Dieu et est Dieu, il ne conduit pourtant pas à
lui-même ; envoyé par le Père pour
réconcilier l'humanité, il conduit au Père. Il
nous entraîne vers le Père, à porter notre
regard vers lui. Pourquoi ? Si tout vient du
Christ et par le Christ, il n'est lui-même que
par le Père, comme le fleuve qui irrigue les
terres, n'est que par la source dont il jaillit,
même s'il n'est pas d'une nature différente de
la source. Comme les rayons du soleil qui
éclairent la terre, ne sont que par la masse de
feu dont ils sortent. Le Père se donne
totalement au Fils, sans rien retenir pour
lui-même, il est don total de lui-même. Ce don
est celui de la vie. Si le Fils, Verbe de Dieu,
est l'origine de la vie du monde, et qu'il se
reçoit du Père, le Père est l'origine sans
origine, le principe sans principe, d'où tout
vient et où tout va. « Le Fils ne peut
rien faire de lui-même, mais seulement ce qu'il
voit faire au Père ; car ce que fait le
Père, le Fils le fait pareillement »
(Jn 5, 19). Le Père envoie donc son Fils, sa
Parole qui crée toutes choses, son Verbe fait
chair, Jésus, pour accomplir son désir de
dialogue avec l'homme. Quand Jésus parle, c'est
le Père qui nous parle. « Je n'ai pas
parlé de moi-même, mais le Père qui m'a
envoyé m'a prescrit ce que j'ai à dire et à
déclarer » (Jn 12, 49). C'est ainsi
que la seule voie qui nous soit accessible pour
connaître Dieu dans son mystère le plus intime
est Jésus le Christ, dans ses uvres et ses
paroles. « Qui m'a vu, a vu le
Père » (Jn 14, 9). Et cette rencontre
avec Jésus est le chemin de la vie, du dialogue
avec Dieu, dialogue de connaissance et d'amour. « Telle
est la volonté de mon Père : que quiconque
voit le Fils et croit en lui ait la vie
éternelle » (Jn 6, 40). « Et
la vie éternelle, c'est qu'ils te
connaissent » (Jn 17, 3).
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Le lieu de la miséricorde

Jésus le Christ, qui conduit au Père, se
situe comme le médiateur, celui qui renoue la
relation, qui réconcilie avec le Père, avec
l'origine, et avec tout ce qui en est issu. C'est
ainsi que la route vers le Père est un chemin de
réconciliation. Par le Christ, avec le Christ et
dans le Christ, nous pouvons cheminer vers la
réconciliation avec nous-mêmes, avec les
autres, avec Dieu. Jésus, Parole faite chair,
vient nous faire comprendre que le Père est
cette permanente possibilité de réconciliation,
celle qu'expérimente le jeune homme de la
parabole du fils prodigue, du fils perdu par son
égocentrisme et retrouvé, relevé par le regard
du père. Dans cette histoire que relate Jésus,
et qui montre par excellence ce qu'est l'amour du
Père, un fils cadet demande à son père de lui
donner sa part d'héritage. Après avoir partagé
sa fortune entre ses deux fils, le plus jeune
part mener grande vie, puis se trouve vite à
court d'argent. Dès lors, il se traîne dans la
misère, jusqu'au moment où il rentre en
lui-même et estime que son père peut, l'aider
à se nourrir et, l'accepter parmi ses ouvriers.
S'étant mis en route, le père l'aperçoit de
loin et court à sa rencontre, l'embrasse. Et
avant qu'il n'ait le temps de s'humilier devant
lui, il l'élève et organise une fête pour ce
retour. « Car mon fils qui était mort est
revenu à la vie. » (Luc 15, 11-32) Le
voici, le Père que nous désigne Jésus, celui
qui attend tout homme à l'heure que ce dernier
choisit pour son retour. Pour Dieu Père, tout
homme a du prix. À tout homme, et tout
particulièrement à celui qui est profondément
englué dans le péché, Dieu proclame son désir
de l'accueillir, de le recréer, le rendant apte
à vivre de l'amour dont il vit et qu'il est.
Au-delà de toute paternité humaine, chacun
d'entre nous devient capable de faire
l'expérience de la paternité divine comme lieu
d'accueil sans jugement, comme relèvement du
désespéré que nous pouvons être, comme
élévation au rang de fils. Et de pouvoir
s'entendre dire : « Tu es mon fils,
mon bien-aimé, en qui je me plais. »
Cette réconciliation devient une tâche à
accomplir pour chacun d'entre nous, un
pèlerinage pour notre vie intérieure, pour
notre communauté croyante, pour l'ensemble de
l'humanité. Individuellement et ensemble, nous
sommes appelés à changer nos habitudes de voir
et de comprendre, de vivre et d'aimer, plus
habitées par le désir de possession et de
domination que par l'attitude de la
disponibilité et de l'accueil. Ceci s'appelle la
conversion, la metanoia, le changement
d'esprit. Ce chemin vers le Père est un
itinéraire de réconciliation et de pardon, que
rendent possible la mort et la résurrection du
Christ. Il est urgent de l'emprunter.
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Fils d'un même père

Rendus fils d'un même père, par l'accueil
de son Verbe en nous et, par l'établissement
d'une relation de confiance que nous appelons la
foi, nous devenons frères, frères entre nous et
frères du Christ. Notre fraternité n'est pas du
même ordre que l'amitié. Là où dans
l'amitié, deux suffisent, toute fraternité
entre deux personnes demande un troisième. Si
nous nous reconnaissons comme frères, c'est
parce que nous nous reconnaissons comme fils d'un
même père. Notre relation passe donc par un
tiers, qui l'édifie et la rend possible. C'est
pourquoi le pardon entre frères est toujours
possible, là où le pardon entre amis semble
impossible. Seul le passage par la fraternité,
le passage dans le cur du Père par le
Christ, permettra à deux amis devenus ennemis de
découvrir à nouveau leur amitié. Ceci permet
de comprendre l'importance du sacrement de
réconciliation, où le prêtre transmet par sa
présence l'attitude de Dieu Père faite chair,
écoute aimante et sans jugement. Il est le
sacrement de la re-création en étant le don de
la force même de réconciliation du Christ. Par
la parole qui affirme que le pardon est vraiment
donné par Dieu, il restaure dans le cur du
pécheur la qualité de fils dont il s'amputait
lui-même. Dès lors plus rien n'est comme
avant. De réconciliation en réconciliation,
l'homme découvre sa vocation à l'amour et met
en uvre dans son existence quotidienne les
comportements et l'éthique qui y correspondent.
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La louange des curs de
pauvre

Qui peut se comprendre
comme fils du Père ? Ceci n'est jamais
mieux reçu que par les plus simples qui savent
se remettre spontanément dans les mains d'un
autre, qui s'abandonnent depuis longtemps dans
les mains de Dieu, les accueillant comme le père
de la parabole du fils perdu et retrouvé.
Dieu a souci des pauvres et des plus faibles, des
souffrants et des perdus, et cela avant tout
autre homme. C'est pourquoi, Jésus vient pour
annoncer la nouvelle de libération aux pauvres,
aux captifs, aux opprimés, aux affligés.
Ce sont eux qui sont les plus en attente d'une
vie nouvelle, les plus aptes à s'ouvrir à cette
relation avec Dieu. Ils se trouvent de plain-pied
avec Jésus choisissant de répondre à leur soif
de relation et de vie, avec la venue du Royaume.
C'est pourquoi Jésus, comme un pauvre qui se
reconnaît enfant de Dieu, crie dans sa
jubilation : « abba ». A
l'instant même, il exulta sous l'action de
l'Esprit Saint et dit : « Je te loue,
Père, Seigneur du ciel et de la terre, d'avoir
caché cela aux sages et aux intelligents et de
l'avoir révélé aux tout petits. »
(Luc 10, 21)
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Le pauvre, c'est nous

Chacun d'entre nous veut faire croire qu'il
est fort et puissant sur lui-même et sur les
autres. Mais ceci nous conduit à empêcher la
révélation de l'amour du Père pour nous. Seuls
ceux qui se reconnaissent pauvres peuvent avoir
accès au Père et à sa puissance de
re-création. Seuls ceux qui se reconnaissent
pauvres, avides du salut donné dans la passion
et la résurrection de Jésus, sauront, au cours
du prochain Jubilé, se laisser conduire dans le
plus grand acte de louange et de jubilation vers
le Père qui nous soit donné, celui de laisser
l'Esprit du Christ chanter dans notre cur
de croyant : « Abba,
Père ! » |
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